4 + 4 - Baptiste Debombourg

Isabelle de Maison Rouge

Baptiste Debombourg revendique son statut de chercheur. Depuis 2005 il utilise le verre dans sa pratique artistique dans le dessein de sortir du matérialisme de la dimension de l’objet. Le verre est visiblement un alliage à haute valeur symbolique, métaphore de la fragilité, de la finesse et de la transparence. Employé comme matériau par l’artiste il permet les reflets, suggérant un monde invisible qu’il rend sensible. Baptiste Debombourg travaille avec le verre, celui de la fenêtre, du tableau ou du miroir. Ses tableaux de verre sont à percevoir comme des meurtrières qui ouvrent sur une vision en trois dimensions et créent une brèche dans le mur, débouchant peut-être sur un ailleurs, un univers propre.

Le verre, par sa matière même, est le symbole de la vulnérabilité. De nombreux poèmes du XVII° siècle comparent ainsi la vie de l’homme à du verre : « Devant la mort tu n’es rien : tu es du verre », nous dit le poète allemand Gryphius (1616-64). Derrière l’idée de cette fugacité de la vie est exprimée également celle de la vanité des plaisirs. L’éclat du verre brouille les limites entre la réalité et le reflet. Ce point de diffraction autonome brise l’espace et suggère un glissement entre visible et invisible, entre clair et flou. L’utilisation de cette technique interroge également le rôle de l’artiste entre maitrise technique et « faire artistique », ce que rappelaient les vanités de l’époque classique en peignant des objets en verre. Le verre autorise encore une autre approche montrant qu’un objet peut, conformément à l’esprit du XVII° siècle, avoir plusieurs significations, par la brillance de son éclat ou de ses reflets il évoque une dimension spirituelle. Parce que le verre est étroitement associé à la lumière, il élargit ou approfondit notre perception visuelle et semble rendre apparent à nos yeux un monde opaque ou caché. Les pièces réalisées dans cette matière amène à un imaginaire et suscite une envie de se raconter une histoire, d’entrer dans un univers. Et c’est avec conscience que Baptiste Debombourg s’inscrit dans une histoire de l’art qui s’approprie le verre tant pour ses capacités physiques que par son langage métaphorique sans pour autant entrer dans la catégorie des arts décoratifs, de la Préhistoire, en passant par les vanités du XVII° siècle ou au XX° siècle les reliefs des constructiviste russes comme Naum Gabo, le Grand Verre de Marcel Duchamp ou les plaques installations, tableaux en verre de Gerhard Richter.

Corps dur, homogène, inaltérable, élastique, fragile, non cristallin le verre est l’un des premiers matériaux que l’homme a mis au point. Son histoire remonte à 100 000 ans sous forme d’obsidienne (verre naturel d’origine éruptive) servant à fabriquer des outils, des armes coupantes des flèches et des bijoux. Entre eau, gaz et cristal, le verre possède de multiples propriétés apparemment contradictoires comme transmettre et isoler, être incorruptible et se briser au moindre choc, se montrer rigide et invisible, laisser voir comme l'eau et se façonner comme un solide, révéler ce dont il sépare, ou refléter qui l'observe. Issu du feu transformateur et purificateur, comme l'or, le verre oscille entre le monde de la matière et celui de la lumière. En outre, le verre accède désormais au monde de l'innovation industrielle où ses applications se multiplient, cristaux, verres optiques, verres colorés ou filtrants, verres trempés, verres armés, laines et composites, le verre suscite d'innombrables métamorphoses. Notre siècle où se développe l'architecture du verre et la fibre de verre, la plus adaptée pour transmettre d'énormes débits d'images et de bits informatiques, nous en fait la démonstration.

Le verre dont use Baptiste Debombourg résulte d’une technicité sophistiquée, il s’agit de verre feuilleté qui ne tombe pas en morceaux lorsqu'il se brise. Il se casse mais reste sur place car il est composé de deux couches de verre collées l'une contre l'autre et séparées par des films intercalaires. Ce type de vitrage ans est employé le domaine de la sécurité active, anti- projection, anti-effraction et résistant aux explosions, il est censé protéger contre les risques de blessures et les agressions de toutes sortes. Symptomatique de l’époqueactuelle où violence, attentat, vandalisme, explosion sont des maux courants et des mots du langage courant, ce matériau de notre temps nous la rend encore plus perceptible. Il évoque en soi la brutalité de l’action de briser la glace, la destruction du vandalisme et des manifestations, il mémorise l’impact et l’accident, il résiste ou part en éclats. Par l'allégorie intrinsèque au matériau lui-même l’expression de l’artiste devient radicale. Casser une vitrine, fracturer les frontières, fracasser les rêves... RAGING DREAMS. Le rêve rejoint la rage. Un texte surgit des fragments de verre, comme gravé dans le marbre. L’œuvre ainsi nommée est forte et percutante tel un aphorisme qui conduit à une plongée philosophique.

Au-delà de la violence c’est aussi l’expression de l’énergie pure et sans compromis. TRANSIENT II est le titre d’une œuvre in situ qui prend différentes dimensions et des formes variées dans l’espace où elle apparait. Ici, le verre noir acquiert une dimension spatiale et s’intéresse aux effets picturaux qu’elle produit. La matière et la couleur du verre autorisent également divers sens de lecture qui insistent sur l’ambivalence et l’aspect paradoxal qu’inspirent la beauté et la fascination de l’éclat et de sa transparence s’opposant au côté accidentel et dangereux associé à la coupure, à la brisure... Il offre à l’artiste la possibilité de travailler avec la lumière autant qu’avec l’ombre. Le noir absorbe l’espace et apporte une dimension obscure, mystique, étrange, spatial, futuriste et réfléchissante. Avec sa pièce CESIUM XIII Baptiste Debombourg effectue le passage de la bidimensionnalité à la 3°dimension et donc, concrètement le rapport à l’espace et à la profondeur. On peut y retrouver des évocations de masques africains, d’œuvres cubistes, des questions spirituelles et philosophiques de Malévitch ou d’un univers futuriste. Elle fait référence au Césium, du latin caesius (« bleu ciel »). Il s’agit d’un métal alcalin stable considéré comme chimiquement peu toxique. Argenté et légèrement doré, il peut demeurer liquide à température ambiante. Le Cesium-133, est utilisé dans les horloges atomiques, il est intimement lié à la définition de la seconde.
En revanche le césium-137 est radiotoxique et écotoxique pour toutes les espèces qui ont besoin de potassium et est également une des principales sources d'explosion radioactive lors des accidents de réacteurs comme ceux de Tchernobyl et Fukushima. Métaphoriquement ce titre nous renvoie à des questions cruciales : comment l’homme peut-il soudain se transformer en destructeur, comment les idées des plus brillants savants de ce siècle peuvent-elles servir les desseins de mort les plus terribles ? Avec sa série des CRYSTAL DOODLE Baptiste Debombourg réalise des griffonnages, non pas au graphite sur papier, mais en effectuant des sortes de dripping de Cristal de Saint Louis sur miroir noir. Ce médium lui permet d’aborder des questions purement esthétiques : Où commence la sculpture ? où finit la peinture ? Interrogations l’on peut poser à rebours également, Où commence la peinture ? où finit la sculpture ? Toutes ces œuvres précieuses et brutales, simples ou accidentées, transparentes ou opaques, réfractent, réfléchissent et renvoient la lumière tout en jouant de l'optique, de l'opacité, de la matité et se jouent du tranchant ou du poli . Elles hybrident concepts et pensée.
Texte écrit dans le cadre de l'exposition 4+4 présentée à la GALERIE RX, Isabelle de Maison Rouge invite Baptiste Debombourg
Isabelle de Maison Rouge est Historienne de l'art, docteur en art et science de l'art, critique d'art, curatrice indépendante, professeur d'histoire de l'art à New York University Paris, chercheuse, membre de l'équipe CNRS de recherche Art & Flux intégrée à l'Institut ACTE (UMR 8218) Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.