Respire

Yves Sabourin

En passant, on croit à un acte de vandalisme. Mais non ! Il y a trop ordre dans ce qui reste et le verre cassé est protégé par celui de la vitrine ! "Respire" est une œuvre qui ne manque pas d’air : son vernissage a eu lieu au moment du grand pic de pollution sur Paris. Un artiste facétieux ou un acte prémonitoire ?

On hésite à décrypter la forme : un verbe à l’impératif sculpté dans du verre dont on cherche à savoir comment il tient. Et les bris de verre, amassés non pas à la manière des destructions d’Arman, mais en forme de paysage montagnard. La destruction n’est pas ici dissociable de la construction, il n’y a pas d’esthétisation de la dégradation.
On hésite à interpréter : une sculpture ou un cri, faussement suave, à la manière de la chanson "Respire" du rocker français Mickey3D qui dénonce la détérioration de la planète ? Le sens est ailleurs.

Une installation radicale et profonde dans le sillage d’artistes majeurs du XXe [1] comme la présente le commissaire Yves Sabourin.



Pour la galerie Saint-Séverin, Baptiste Debombourg propose un jeu d’illusions dans le "White parallelepiped" et joue dans ce petit théâtre avec, au premier plan, le mot RESPIRE gravé en vide dans le verre sur une composition architecturale où se mêlent la transparence de la matière, les fissures étoilées provoquées par l’apparition du mot, et un chaos dû, non seulement à la destruction nécessaire du verre répandu sur le plancher mais également aux arrières plans avec l’élévation d’échafaudages improbables recouverts de "feuilles de verre", entièrement étoilées qui s’élèvent vers les cintres. Ce n’est pas la première fois que l’artiste grave des mots porteurs d’espérance comme ÉLÉVATION ou NE RIEN INSCRIRE mais, avec RESPIRE, ce qui nous permet de nous dépolluer du gaz carbonique que nous produisons, c’est bien un nouveau Verre que le plasticien érige.

Tournons-nous vers les années 1910 pour redécouvrir les œuvres d’un artiste incontournable à qui Baptiste Debombourg rend hommage en 2002 avec Polybric (un urinoir monté "en lego"): Marcel Duchamp (1887-1968) qui installe au rang d’œuvre d’art des objets ultra fonctionnels mais également le verre et le verre brisé dans Neuf Moules Mâlic (1914-15) et bien sûr dans La Mariée mise à nu par ses célibataires (1915-23) appelée également Le Grand Verre. Ce sont des œuvres majeures du 20ème siècle qui conjuguent encore maintenant énigme spirituelle et maîtrise esthétique. N’oublions pas de citer Man Ray (1890-1976) et sa peinture à l’aérographe sur une plaque de verre Danger/Dancer (1917-20). Ces deux maîtres mettent en valeur le point faible du verre : la cassure que Baptiste Debombourg "maîtrise" grâce à une avancée technique, de façon radicale. Avec RESPIRE, le verre, qui était précieux à l’Antiquité, le redevient associé au verbe choisi: respirer. Y aurait-il dans la proposition de Baptiste Debombourg une forme de rédemption par la matière inerte ou vivante ?

Après des études aux Écoles Nationales Supérieures des Beaux-arts de Lyon puis de Paris, Baptiste Debombourg développe son travail artistique en usant de matériaux peu habituels dans le domaine des arts plastiques comme le carton d’emballage, le polystyrène de protection, mais également des matériaux composites et pauvres tel que le mélaminé dont on se sert pour faire des meubles de cuisine. L’artiste élabore et dresse des architectures comme Alléluia (1999), un maître autel à l’église du Bon Pasteur de Lyon, et Arc de triomphe (2001) aux Beaux-arts de Paris. En 2004, il détruit un mobilier de salon tout neuf en formica dans le but de le restaurer en jouant avec les imperfections dues au mélaminé devenant ainsi des sortes de cicatrices. Tout en continuant ses recherches et ses réflexions sur l’idée que construire, détruire et reconstruire, sont le propre de l’homme – celui qui dévoile, cache, ou joue avec ses forces mais aussi avec ses faiblesses – il aborde d’autres techniques comme le dessin et même la dentelle, utilise d’autres supports comme le papier de magazine, le pigeon pétrifié, le bois, et élabore des gestes techniques afin de les maîtriser. Il domestique si bien l’agrafe et l’agrafeuse murale que les petits bouts de métal blanc, enfoncés violemment dans une planche, composent des tableaux dont la majorité est inspirée par des artistes incontournables de notre Histoire de l’Art à l’instar d’Albrecht Dürer. En 2012, il s’inspire du Massacre des Innocents de Marcantonio Raimondi mais aussi de Raphaël afin de réaliser Aggravure XXVI : les accumulations d’agrafes deviennent les hachures de la gravure.

Ensuite, arrivent le miroir, qu’il découpe afin de pouvoir le sculpter et le métamorphoser en masque avec "Césium"(2009), puis le pare-brise, fabriqué en interposant un film transparent et résistant entre deux couches de verre, il se brise, se plie sans éclater, il pourrait devenir un textile. La surface limitée d’un pare-brise ne lui suffit pas lorsqu’il envisage d’élever des sculptures qui dialoguent avec l’architecture ; c’est de nouveau une réflexion sur la fragilité des matériaux et de quelques matières vivantes, mortes ou inertes. En 2007 à Paris, il fait surgir "Turbo" du mur de la galerie Patricia Dorfmann avec du mélaminé puis, en 2012, dans le Parcours Saint-Germain, il récidive avec "Stalker" à Maison Martin Margiela à Miami. En 2015, il crée à la Maison Rouge "Champ d’accélération" avec du verre feuilleté et une architecture visible ou suggérée et "Matière noire" pour la galerie de la HEAR à Strasbourg.
Exposition personnelle à la Galerie Saint-Séverin une invitation d'Yves Sabourin
Yves Sabourin est commissaire d'exposition et inspecteur chargé de mission pour le textile au ministère de la Culture depuis 1996